Choisir notre trajectoire énergétique - Allocution de Sophie Brochu

12 Avril 2011 - Allocutions

Mardi le 12 avril 2011

Allocution prononcée par Sophie Brochu,
Présidente et chef de la direction, Énergir

Chambre de commerce du Montréal métropolitain
Montréal

(Seule la version prononcée fait foi)

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Mesdames, messieurs
Chers amis,
Bonjour !

C’est un grand plaisir pour moi d’être avec vous aujourd’hui. Je considère cette rencontre comme une véritable opportunité et je remercie chaleureusement la Chambre de commerce du Montréal métropolitain pour son invitation. J’en profite, Michel, pour souligner le travail remarquable de votre institution qui  contribue non seulement au succès de la Métropole, mais aussi à l’avancement de la réflexion sur des dossiers d’importance pour l’ensemble de la société québécoise.


Introduction

Il y a quelques années, sur cette même tribune, j’avais affirmé que l’implication citoyenne des Québécois allait changer radicalement la relation que nous entretenons avec l’énergie.
Je ne pensais pas si bien dire.

Notre société est aujourd’hui résolument mieux conscientisée à l’importance de conserver l’énergie et à la nécessité de réduire l'empreinte environnementale qui découle de son utilisation.
Maintenant que le Québec s’est fixé des cibles ambitieuses de réduction de gaz à effet de serre à l’horizon 2020, ce qui est demain, notre prochain défi collectif est sans aucun doute celui de passer à l’action.

Passer de la revendication d’un monde meilleur à la mise en œuvre des moyens pour le construire. 
Ce serait une erreur de sous-estimer l'ampleur de la tâche qui nous attend, en matière de réduction des GES …

Cela dit, je demeure optimiste. Alors que certains décrient l’immobilisme des québécois, moi, au contraire, je constate que nous avons amorcé le mouvement. Le mouvement en vue de réduire l’emprise des produits pétroliers sur notre bilan énergétique.
Ce mouvement, il faut maintenant l’accélérer.

Tous les pays industrialisés s'affairent à améliorer leurs bilans énergétiques, pour les rendre plus "durables". Aujourd’hui, je vous propose d’examiner le bilan du Québec et de constater avec moi en quoi, et comment,  il est perfectible.


Bilan énergétique du Québec

Nous avons la très grande chance de disposer chez nous de ressources hydrauliques considérables. Des ressources non seulement renouvelables mais qui émettent peu de GES. Il s'agit là d'un avantage comparatif formidable qui nous distingue sur l'échiquier planétaire.
Mais cet avantage nous tend aussi  un piège. Il nous donne l'impression d'une immunité « diplo-climatique ». 

Or, ici comme ailleurs dans le monde, il reste beaucoup à faire.
Au Québec, il se consomme en effet presqu’autant de produits pétroliers que d’électricité. 
Une première conclusion saute aux yeux : pour atteindre nos cibles de réduction de GES,  nous devons  absolument réduire l’emprise du pétrole sur notre bilan énergétique.

Mais comment s’y prendre ?

Sachant qu’aucune forme d’énergie ne peut répondre à tous les besoins énergétiques,  la réponse à cette question est combinatoire. Et la combinaison gagnante, c’est le tandem électricité-gaz naturel.
Notre électricité émet peu de GES. De son côté, le gaz naturel permet une réduction immédiate d’au moins 25% des émissions par rapport à celles des produits pétroliers.

Lorsqu’il est question de repousser le pétrole, le front commun électricité-gaz naturel est indispensable et imbattable, puisque que chacune des deux énergies peut se déployer là où l’autre n’est pas en mesure d’agir.

Je m’explique.

Les produits pétroliers desservent actuellement deux grands types de besoins. Le mazout est utilisé pour le chauffage de l’eau et de l’espace, alors que l’essence et le diésel le sont pour le  transport.
Deux marchés, deux logiques.

Attardons-nous d’abord aux besoins liés au chauffage et plus particulièrement aux besoins du secteur industriel, deuxième plus grand émetteur de GES du Québec.
Parce que le Québec dispose de vastes réserves hydroélectriques, on pourrait être porté à penser que le « tout électrique » s'applique, tous azimuts, au secteur industriel.  Ce n’est pas le cas !
En réalité, l’électricité n’offre pas de solutions technologiques réellement efficaces et économiques pour répondre à la puissance requise des grandes bouilloires industrielles et institutionnelles.

Sur ce marché donc, le gaz naturel et le mazout lourd se livrent depuis toujours une concurrence directe et féroce. Féroce, car ici tout est une question de prix. Le moins cher du gaz naturel ou du mazout emporte la mise.

La décennie 90 avait été celle du gaz naturel. Ce dernier  était alors beaucoup moins coûteux que le mazout lourd. Les industries qui pouvaient techniquement utiliser l’un ou l’autre privilégiaient alors systématiquement l’énergie gazière.

L’avantage du gaz naturel était tel, qu’en seulement 10 ans, des capacités de génération électrique à partir de gaz naturel équivalant à trois fois celle d’Hydro Québec ont été mises place au sud de notre frontière.

Tout ceci a propulsé la demande vers des sommets. L’année 2000 a constitué ni plus ni moins qu’un point de rupture. Cette année là, les prix du gaz naturel sont passés du simple au double.
Et les industries nord américaines, elles, sont passées au mazout lourd, deuxième plus grand polluant, tout juste après le charbon.

Le Québec n’est pas une île. Nos grandes institutions de santé et d’enseignement gèrent des budgets serrés et nos industries doivent composer avec la réalité des prix, car elles doivent assurer leur propre compétitivité dans une économie globalisée.

Parce que l’électricité n’est techniquement pas en mesure de répondre à l’ampleur des besoins des grandes bouilloires, nos institutions et nos entreprises n’ont eu d’autres choix que d’emboiter le pas. 

Et c’est ainsi qu’en moins d'un mois, le Québec a ouvert au mazout lourd l'équivalent de la capacité du complexe hydroélectrique de la Romaine, nous qui étions déjà le principal utilisateur canadien de ce résidu pétrolier. Champion toute catégorie. Loin devant l’Alberta.

Cette Romaine virtuelle a coulé sur le Québec son mazout lourd pendant plus de 6 ans.

Heureusement, à  toute chose malheur est bon …

La robustesse des prix du gaz naturel a incité le développement de nouvelles  technologies d’exploration. Ces nouvelles technologies ont à leur tour mené à la découverte aux États-Unis de quantités très importantes de gaz naturel : le fameux gaz de shale, issu de formations géologiques jusque là inexplorées.

Entre 2008 et 2010, en seulement deux ans et à la surprise des producteurs eux-mêmes, la production de gaz naturel s’est accrue de 10 % aux États-Unis.  Tout ceci a entraîné, du coup, un repli considérable des prix du gaz naturel.

Pendant ce temps, les cours du pétrole tirent le prix du mazout vers le haut. Tout cela préside au retour marqué de l’avantage  concurrentiel du gaz naturel ... 

Cette situation est elle soutenable? Les prix du gaz naturel demeureront-ils aussi compétitifs?  

C’est ce que croit la grande majorité des analystes, en raison des pressions à la hausse  sur la demande mondiale de pétrole et de l’ampleur des nouvelles réserves gazières disponibles en sol nord américain.

C’est ce qu'anticipent également les marchés financiers, comme l’illustre la courbe des contrats à terme  pour les prochaines années.

Et j'ajouterais que c’est sans doute ce que croit le lobby du charbon, à voir la véhémence de sa réaction. Pour la première fois depuis des décennies, le gaz naturel peut en effet prétendre à déplacer le plus polluant de tous les combustibles fossiles de la planète.
Quoiqu’il en soi, la compétitivité retrouvée du gaz naturel constitue déjà une très bonne nouvelle pour le Québec, notre économie et notre environnement. Nos grands consommateurs d’énergie l'ont bien compris.

Nos industries, nos hôpitaux et nos institutions reviennent au gaz naturel.  En 2010, les livraisons de gaz naturel se sont accrues de 15% dans ce segment de marché.
Ce faisant, ces mêmes clients ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 250 000 tonnes par année, soit l’équivalent de ce qu’émettent 50 000 voitures.

Je le disais tout à l’heure : nous sommes en mouvement. Il faut maintenant l’accélérer.
Déjà, 180 000 résidences, commerces, institutions et industries bénéficient tangiblement de la compétitivité retrouvée du gaz naturel. 

Collectivement, ce sont des économies de près de 800 millions de dollars par année qui sont aujourd'hui réalisées au Québec, en comparaison des prix qui prévalaient il y a à peine deux ans.
Ce qui précède illustre l’importance pour le Québec de pouvoir compter sur l’énergie gazière pour repousser, là où l’électricité n’est pas en mesure de le faire, les produits pétroliers.


Marché du Transport
Tournons-nous maintenant vers le vaste secteur du transport qui est le plus émissif au Québec, avec 40 % du bilan total des émissions de GES.

Quoique l’essence et le diesel soient susceptibles de maintenir leur position dominante sur ce marché pendant encore de nombreuses années, l’électricité et le gaz naturel peuvent là encore travailler en complémentarité pour y réduire l’importance du pétrole.

Le Québec se prête évidemment bien à l’électrification d’une partie de la flotte de voitures personnelles. 

Le gouvernement du Québec vient à cet égard de faire preuve d’un grand leadership en annonçant une série de mesures qui permettra le déploiement d’un parc important de voitures électriques au cours des prochaines années. C’est formidable.

Mais l’électricité n’offre pas de solution pour le transport lourd de marchandises sur de longues distances. Ce dernier génère, à lui seul, le tiers des émissions de GES du transport routier : 9 millions de tonnes de CO2, de quoi remplir l’équivalent en volume de 1,5 million de piscines olympiques par année !

C’est là qu’entre en scène une nouvelle génération de moteurs à gaz naturel qui est  en mesure de réduire du quart les émissions de GES des camions lourds.

Un grand visionnaire l’a compris.

Transport Robert, une entreprise bien de chez nous et reconnue par ses pairs comme un leader de son industrie, est actuellement à faire construire 180 camions, comme celui-ci, qui seront alimentés au gaz naturel liquéfié. 

Transport Robert considère le gaz naturel liquéfié comme étant le carburant de l’avenir.

Le transporteur est motivé par la compétitivité du gaz naturel par rapport au diesel et  par la réduction de près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre rendue possible par l’utilisation du gaz naturel.

Attirés par ces avantages marqués, plusieurs autres grands transporteurs envisagent sérieusement de recourir à cette nouvelle technologie. Ils sont encouragés en cela par les mesures fiscales mises de l’avant il y a un an par le gouvernement du Québec pour favoriser l’acquisition de camions fonctionnant avec des carburants plus propres.

Pour tout vous dire, le Québec est en avance par rapport au reste du pays dans ce dossier, et en cadence avec les États-Unis dont le président Obama vient de placer le gaz naturel au cœur de sa stratégie énergétique en matière de transport. 

Et notre ambition ne s’arrête pas là. En collaboration avec le transporteur ferroviaire Canadien National et le fabriquant de moteurs Westport, nous débuterons sous peu un projet afin de démontrer l’application du gaz naturel liquide comme carburant pour les locomotives.

Tout ceci prouve bien que  la société  québécoise est en mouvement pour réduire l’emprise des produits pétroliers sur son bilan énergétique. Et que la complémentarité du gaz naturel et de l’électricité permettra de l’accélérer.

En combinant la souplesse de l’électricité dans le transport léger, avec l’efficacité du gaz naturel dans le transport lourd, nous sommes en mesure de faire des gains tangibles et immédiats.


L’émergence du  bio-méthane
Le bilan énergétique québécois est ainsi appelé à évoluer de façon significative au cours des prochaines années. Cette évolution se fera de manière graduelle, au fil des développements technologiques.

Même la composition des différentes formes d’énergie évoluera.

L’électricité vendue au Québec incorporera une part grandissante d’énergie éolienne.

De la même manière, la composition du gaz naturel est également appelée à évoluer. 
De nouvelles technologies permettent la valorisation des matières résiduelles. D'ici peu, nous disposerons collectivement d’une nouvelle ressource énergétique : le biométhane.

Ce biométhane sera parfaitement complémentaire et compatible avec le gaz naturel. Il  pourra par exemple alimenter les flottes de camions lourds dont je vous parlais il y a quelques instants.
Il pourra également être traité afin d’emprunter les mêmes infrastructures de distribution gazière qui répondent à une partie importante des besoins énergétiques québécois.

Nous aurons dès lors accès à du gaz renouvelable et domestique. Et l’empreinte du gaz consommé en 2020 sera encore plus avantageuse qu’elle ne l’est aujourd’hui.


Conclusion 
Je soulevais au début de cette présentation que notre société est résolument sensibilisée à l’importance de réduire son empreinte environnementale et qu’elle s’est donnée des objectifs ambitieux.

Notre prochain défi est de passer à l’action.

De rallier économie et environnement  en misant sur les bonnes énergies aux bonnes places. En permettant à l’électricité et au gaz naturel de jouer chacun leur rôle, des rôles complémentaires.

En tentant d’imaginer notre avenir, il faut concevoir nos choix énergétiques comme une trajectoire. Un chemin à parcourir.  Des étapes à franchir.

À l’heure où le degré d’émotivité relié à l’actualité énergétique atteint des sommets, j’ai voulu partager avec vous aujourd’hui une vision globale et nuancée du monde de l’énergie.
En énergie, comme en toutes choses, la nuance est l’expression même du principe de précaution et, j'ose croire, toujours un signe d’intelligence. 

Mais à l’ère de la «twitterature» et des conversations à 140 caractères, on manque de temps.  La nuance a de la misère à s'exprimer et à se faire entendre.

Voila pourquoi je considère comme un véritable luxe le temps que vous m’avez consacré aujourd’hui.

Je vous en remercie.

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